Krys Jacou - Espace Bocaud
Virginie R.
Notre série du Guide de la Vue mettant en lumière de brillantes femmes de l'Institut de la Vision se termine avec cet article. Ce dernier récit marque la conclusion d'un voyage au sein de l'Institut de la Vision et de certaines des 202 femmes - sur 381 chercheurs - qui composent ses équipes : Dr Deniz Dalkara, Dr Valentina Emiliani, Dr Kate Grieve, Dr Annabelle Réaux-Le Goazigo, Pr Isabelle Audo et Dr Christina Zeitz. Il est à présent temps de vous présenter la Dr Emeline Nandrot.
La Dr Emeline Nandrot est chargée de recherche CNRS, elle est biologiste et directrice d'équipe à l'Institut de la Vision. C'est une experte dans la physiologie de l'épithélium pigmentaire rétinien et dans les pathologies liées à son dysfonctionnement comme la DMLA.
Pour la Dr Emeline Nandrot, chercheuse CNRS à l’Institut de la Vision, la recherche est une histoire de vocation… mais aussi de motivation et de pugnacité. « Faire des expériences, comprendre le vivant m’a toujours intéressée, mais c’est véritablement mon stage de troisième dans un laboratoire, processus rare à l’époque, qui a déclenché ma vocation. Dès la terminale, j’avais en tête un cursus bien précis en génétique humaine. Mais ce ne fut pas un parcours toujours facile ! », raconte-t-elle. Après la maîtrise de Biologie et Génétique Appliquées, elle vise le DEA de Génétique Humaine de l’Université Denis Diderot sur le campus de Jussieu, où les places étaient très limitées. Vient ensuite la thèse, pour laquelle l’étudiante doit trouver un laboratoire afin de bénéficier d’une bourse.
C’est ainsi qu’elle intègre le CERTO (Centre d’Etudes et de Recherches Thérapeutiques en Ophtalmologie), laboratoire de l’association Rétina France, et fait ses premiers pas dans le monde de l’ophtalmologie… qu’elle n’a plus quitté depuis 25 ans. « C’était alors un domaine émergent, mais riche de promesses et de potentialités sur le plan de la recherche. Les yeux sont un tissu passionnant et maintenant à la pointe de nombreuses approches comme la thérapie génique et cellulaire. Le tissu rétinien sur lequel je travaille présente par ailleurs des mécanismes cellulaires en lien avec de nombreuses autres pathologies, au-delà de l’ophtalmologie », poursuit la chercheuse. Au CERTO, la Dr Emeline Nandrot consacre sa thèse à l’identification, sur un modèle animal connu depuis 1938, du gène responsable de la dégénérescence rétinienne chez ce modèle de rat. Ses recherches se concentrent plus spécifiquement sur une structure spécifique : l’épithélium pigmentaire rétinien (RPE), ces cellules de support qui nourrissent les photorécepteurs et en évacuent les déchets. « Ces cellules ne font pas directement la vision, mais elles jouent un rôle crucial pour la vision, notamment via leur rôle de recyclage des déchets. En 2000, nous avons réussi à identifier le gène MerTK impliqué dans ce phénomène de phagocytose, en même temps qu’une équipe américaine. »
Département :
Thérapie de l'Institut de la Vision
Equipe :
Physiologie de l'épithélium pigmentaire rétinien et pathologies associées
Dr Emeline Nandrot
© Institut de la Vision – SU_LArdhuin
Quand la plupart des doctorants changent de sujet de recherche après leur thèse, la Dr Emeline Nandrot fait le choix - peu conseillé dans le monde universitaire - de poursuivre sur la même thématique lors de son post-doctorat au Weill Medical College de l’Université Cornell, à New York aux Etats-Unis. Là, elle enrichit son expertise d’approches différentes comme la biologie cellulaire et la biochimie, qui s’avèreront une véritable force à son retour en France. Nous sommes en 2008, l’année d’ouverture de l’Institut de la Vision qui recrute alors deux jeunes chefs d’équipe. La biologiste intègre l’Institut dès sa création, en même temps que la Dr Christina Zeitz. Les deux chercheuses bénéficient d’un « starting package », leur permettant de monter leur équipe et de poursuivre leurs recherches en attendant de trouver leurs propres financements. En 2009, la Dr Emeline Nandrot obtient le concours de chercheur de classe 1 du CNRS, « vraisemblablement grâce à une logique éprouvée par plus de 12 ans de recherche sur une même thématique. Ma focalisation est finalement devenue une force ! », estime la biologiste, qui poursuit toujours ses recherches sur cet épithélium et plus spécifiquement son rythme circadien. « Les cellules de l’épithélium pigmentaire rétinien sont en contact constant avec les photorécepteurs, mais elles n’éliminent leurs extrémités oxydées par la lumière qu’une fois par jour. Nos travaux visent à comprendre les mécanismes moléculaires du rythme circadien de ce phénomène de phagocytose. Un autre projet consiste à comprendre pourquoi une famille de gènes exprimés dans tous les tissus entraîne uniquement des rétinopathies pigmentaires, spécifiquement au niveau de l’œil, notamment en lien avec une perturbation du rythme circadien de phagocytose. En plus des anomalies de l’horloge interne, une des pistes de recherche est un défaut au niveau des mitochondries, car les cellules de la rétine consomment énormément d’énergie. »
"Afin de faire reculer le seuil de déclenchement pathologique de la DMLA sèche,
nous recherchons la bonne combinaison de molécules antioxydantes
naturellement présentes dans les aliments."
Dr Emeline Nandrot - Institut de la Vision
© Institut de la Vision - SU-PKitmacher
Parallèlement à cet axe de recherche physiopathologique, la chercheuse garde en tête de nouvelles thématiques davantage tournées vers la thérapie, mais toujours centrées sur cet épithélium pigmentaire rétinien dont elle s’attache, depuis ses débuts, à décrypter les secrets. « Cet épithélium est impliqué dans différentes pathologies, dont la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA). Avec l’âge, l’évacuation des déchets par l’épithélium pigmentaire rétinien se fait de moins en moins bien, entrainant une accumulation de déchets qui vont s’oxyder dans les cellules. Ces oxydations progressives altèrent petit à petit le fonctionnement des cellules de l’épithélium et de la rétine. Au-delà d’un certain seuil, qui varie selon les personnes et différents facteurs – la génétique, le tabagisme, l’alimentation… - la vue va s’altérer »,explique-t-elle. Combattre ce phénomène d’oxydation : tel est l’un des projets sur lequel l’équipe du Dr Emeline Nandrot travaille actuellement, en étroite collaboration avec la Dr Valérie Fontaine à la tête de l’équipe Carnot, qui a développé des modèles cellulaires pour étudier la fonction et la protection des cellules RPE dans la DMLA. « Notre postulat de base est de faire reculer le seuil de déclenchement pathologique de la DMLA sèche de 10, 20 ans, ce qui serait suffisant pour la qualité de vie des patients. Notre stratégie : des molécules antioxydantes naturellement présentes dans les aliments. Chez les patients atteints de DMLA, les quantités de certains antioxydants qui diminuent avec l’âge sont plus faibles que chez les personnes non atteintes. De plus, différents travaux, dont les études américaines AREDS et AREDS 2, confirment l’intérêt d’une supplémentation en micronutriments dans la prévention de la DMLA. », poursuit la Dr Emeline Nandrot, qui s’attache ainsi, avec son équipe, à trouver la bonne combinaison de molécules, en se concentrant plus particulièrement sur les lipides antioxydants. « Dans le régime méditerranéen, riche en poissons gras sources d’oméga 3, on constate une plus faible prévalence de la DMLA. Idem parmi la population japonaise, qui consomme également beaucoup de poissons gras », précise la chercheuse à l’Institut de la Vision.
La première année de recherche a donné des résultats encourageants sur les données préliminaires, indispensables pour obtenir de plus gros financements. Depuis, l’équipe ajoute de nouvelles molécules, testées seules ou en combinaison. Mais trouver la bonne formule ne saurait suffire : encore faut-il que ces molécules atteignent le tissu cible, à savoir la rétine. Pour vérifier cela, l’équipe s’est associée à un autre talent féminin : la chercheuse Emmanuelle Reboul spécialisée dans la biodisponibilité. « Nous sommes au tout début du projet, mais il s’avère riche de potentialités. Cette approche de supplémentation alimentaire en préventif est très prometteuse, notamment pour les familles à risque de DMLA, car il s’agit de molécules naturelles sans risque d’effet secondaire. Cette approche systémique pourrait également être utilisée dans d’autres pathologies liées à des processus oxydatifs et inflammatoires. », conclut la Dr Emeline Nandrot, qui n’est pas près d’abandonner ce passionnant terrain de recherche qu’est l’épithélium pigmentaire rétinien.
© Institut de la Vision – SU_LArdhuin
Photo en vignette : Emeline Nandrot © Institut de la Vision - SU-PKitmacher
Soutenez la recherche, soutenez l'Institut de la Vision >
DMLA (dégénérescence maculaire liée à l'âge), quatre lettres pour parler d'une pathologie oculaire qui concerne plus d'1,5 million de personnes en France.
Virginie R.
Marion V
Elisabeth G
Anne-Laure P